La Brume de l’Onde
Qui suis-je: La Sirène
Age: au moins 3000 ans
Née: Sous l’écume d’une vague en plein océan
Talent: Sans limite
Rôle: Future attraction extraordinaire.
Objet fétiche: Un hameçon planté dans mon enfance et contre lequel j’ai lutté pendant des jours pour en rompre le fil. Je l’ai gardé comme un murmure à l’oreille contre vents et marées.
Je viens de débarquer au Cirque des Brumes. Le Petit Magicien prévoit de me dresser après une courte adaptation en bassin… mais ici l’eau me brule. Je suis désorientée et terrifiée dès qu’on s’approche de ce qui me semble être une mer figée.
J’ai vu la mer s’assombrir et se refermer sur moi quelque part entre les eaux des courants froids et les rivages du ponant. Où précisément, je le sais mais ne pourrais le nommer tant l’immensité de la mer ne connait de limite et je ne sais pas celles des hommes. Et puis plus rien. Je me suis réveillée dans un entrelacs de cordes et de poissons inextricables et étouffants. Un tri s’est abattu sur nous. Il a arraché aux filets les nageoires et la chair des dauphins qui luttaient encore; déchiré les ailerons de requins juvéniles épuisés, découpé des tortues presque noyées et achevé les derniers battements d’ailes de raies. De toute part, des harpons, des thons, du sang, mes larmes, mon corps. J’étais toutes les douleurs, toutes les agonies. J’ai reconnu la nausée. Un effroi visqueux baptisait ma mort. Ballotée, pelotée, rincée, pesée, mesurée, photographiée, ballotée à nouveau, pas une égratignure. Seule ma cicatrice polie par le sel et le temps soulignait mon épaule. Ils étaient éblouis. On m’a vendu au plus offrant. Et le Petit Magicien à remporté les enchères. Dans ses yeux ma cicatrice brillait de plus belle à l’idée de l’exploitation qu’il pourrait tirer de sa nouvelle acquisition. Personne, à ma peau argentée et mes écailles délicates ne pouvait se douter que j’étais déjà morte.
Au Cirque des Brumes, on m’a jetée dans une eau qui me tourmente. Ma peau et puis mon corps investis de brûlures se sont recroquevillés de douleur. Parfois, je me jette encore à travers cette mer acide et sans saveur qui ne me cède plus le passage et me rejette. A la nausée et aux brûlures c’est ajoutée la douleur des murs infranchissables que je ne vois pas. Je m’évanouis souvent. L’eau n’est plus ce qu’elle était. Elle me trahit et change encore. Je suffoque petit à petit, je me cogne, je m’asphyxie lentement et nous tournons ensemble dans l’abîme trouble d’une substance mortifère.